Cet article un peu volumineux est co-ecrit par Josselin et Victor, une belle expérience d’écriture, nous en espérons autant pour la lecture !
Une épicerie et un bar pignon sur rue à 15 minutes de vélo, notre programme du dimanche soir était tout vu pour clôturer notre première semaine ! Après avoir dévalé le chemin qui mène de la Guette à Augan, nous avons stationné nos 3 destriers, les pneus encore fumants, devant l’escalier du bar-café. 7 marches et une porte chaleureuse plus tard, nous voilà au chaud en compagnie de 4 auganais.
Derrière le bar, Solène nous accueille et nous présente les 4 bières de la microbrasserie préparées sous nos pieds au sous-sol par Yann. Il s’en suit des échanges autour du fonctionnement de ce lieu et de son histoire. L’histoire de la construction de cette coopérative et de l’aménagement de son bâtiment, celles des personnes qui le font vivre, celle de Loïc fraichement installé sur Augan et qui travaille son palais pour être le prochain embauché du bar-café…

Pour nous pas de doute, c’est la rousse la meilleure des mousses de Yann, mais l’histoire aurait pu être toute autre… Nous aurions pu être de chastes cyclotouristes de passage à Augan après avoir visité Brocéliande. À la recherche d’un bout de fromage pour agrémenter notre pique-nique. Happés par les aménagements bois chaleureux confectionnés lors du chantier participatif de l’épicerie, nous aurions hésité entre le chèvre de la ferme croisée en chemin 5 minutes plus tôt, le beurre de Ploërmel et le camembert Rustique (valeur sûre pour accompagner des tomates séchées dans un bout de pain). Ou encore manger directement à la cantine et réserver notre nuitée avec douche chaude à l’auberge au-dessus! Mais comment autant d’activités et de dynamisme s’est-il constitué dans un village de 1500 habitant.e.s ?
Nous voulions démontrer qu’il était possible de faire autrement, autrement que les logiques actuelles de spécialisation, basée sur la croissance.
Henry-Georges Madeleine, président de la SCIC pour l’année 2019
Une réponse concrète à la déshérence du service public
Un bar qui ferme dans un village, et c’est le village qui meurt. On s’en rend bien compte en traversant des bourgades en vélo. Alors lorsque le collectif du Champs Commun décide de reprendre l’activité épicerie et bar à Augan, un village de 1500 habitant.e.s, il est hors de question de se retrouver sur une zone d’activités périphérique, comme le suggérait une opportunité de terrain pas cher. La volonté des « éclaireurs » à l’initiative du Champ Commun, s’inscrit dans une vision politique assumée.
Face à la déshérence du service public dans ce qui appelée la France périphérique, il s’agit ici de recréer du lien, de contrer la logique de spécialisation et de zonage qui caractérise les métropoles et met les zones rurales en position de dépendance (Entre autres à la voiture, donc au carburant… Vous avez dit gilets jaunes?). En somme, il s’agit de continuer à vivre son lieu d’habitation ou d’habiter son lieu de vie. On ressent l’importance portée à « ne plus subir les décisions prises à notre place, dans une logique d’expertise » par les fondateurs du lieu.

À l’instar d’autres lieux ruraux, les services publics classiques sont durs d’accès. Le système de bus est peu fourni voir inexistant. La Poste était ouverte de 10h à 12h, rendant très difficile la réception et l’envoi de colis, un distributeur automatique est absent, les habitants deviennent donc dépendant de leur voiture pour répondre à ces besoins dans la ville la plus proche, et nos aînés voient souvent leur solitude et leur dépendance s’accroître.
L’épicerie inclue donc les services de retrait de liquide, de services postaux, en remplacement de la Poste qui a fermé en 2010 et dont la mairie n’a pas souhaité prendre la charge. Le lieu en vient donc petit à petit à remplacer ou compenser la défaillance du service public et/ou de la politique du service public. Le service du midi du restaurant propose une alternative aux plateaux-repas livrés à domicile. Ces deux services, qui répondent au besoin de nourrir des personnes qui ne peuvent plus se faire à manger, font face à la même problématique, mais dans des logiques très différentes.
Il ne s’agit pas ici simplement de « vivre », mais de « bien-vivre ». Le bar café-concert répond au besoin de voir une offre culturelle variée exister dans le village. Héberger des moments festifs a permis dès le début du projet d’en faire un lieu de rencontre, répondant au besoin de criant de faire sauter les barrières d’âge et de milieu social pour faire vivre ensemble les habitants.
Le Champ Commun, aujourd’hui
Le Champ Commun regroupe aujourd’hui multiples activités, qui se sont ajoutées au fur et à mesure du temps, de l’énergie, et des fonds disponibles, avec des artisans collectifs et des chantiers participatifs.
- OCTOBRE 2009
- Le collectif est constitué de 40 associés. Ils ont l’intention de travailler ensemble pour une coopérative d’intérêt général et qualitative.
- JANVIER 2010
- Le bar café-concert ouvre sous le nom de L’Estaminet. Après 1 mois de travaux, le rachat du fond de commerce par la SCIC et des murs par une SCI. La coopérative compte désormais 72 associés, avec 75.200€ de capital social. Une difficulté particulière de cette période est de « faire tourner » le bar tout en assumant les travaux en cours de l’épicerie. Nous avons parlé de ce genre de période dans un précédent article.
- Dans un milieu rural, du moins à Augan, ouvrir le bar sur des horaires larges n’est pas rentable. Les finances s’équilibrent en fin de semaine lors des concerts!
- Les salariés du bar sont aujourd’hui 3 à temps plein !
- JUILLET 2010
- Ouverture du Garde-Manger, l’épicerie! L’objectif d’attirer la plus large frange de la population possible dévie le collectif de leur idée de passer en « Biocoop », mais décide plutôt d’intégrer des produits « industriels » aux côtés des produits locaux (60 fournisseurs de la région!) et bio. Un jeu de marge commerciale variable vise à promouvoir les producteurs locaux. On peut trouver de tout, l’idée étant d’être une réelle alternative au supermarché.
- Les services de la Poste sont intégrés, avec des horaires accessibles (8-20h en semaine, 9-20h et 8-13h le Samedi-Dimanche). On peut retirer du liquide avec un compte bancaire La Poste, retirer et déposer ses colis, acheter des timbres.
- OCTOBRE 2012
- La brasserie ouvre! Elle brasse aujourd’hui 6 bières différentes, servies au bar, et est la première vente de l’épicerie ! (faut dire qu’elles sont bonnes, surtout la rousse, à bon entendeur!)
- 1 personne à temps plein est sur cette activité !
- 2016
- Ouverture de la salle d’activité, réalisée en paille et enduit chaux, ossature bois. On y retrouve les concerts, le tournoi de bridge hebdomadaire tous les Vendredis! La salle est louable pour des formations.
- AOÛT 2018
- Ouverture de l’Auberge. Dortoir et chambres doubles sont prêtes à accueillir les groupes, cyclistes ou même mono-cylistes!
- FÉVRIER 2019
- Ouverture de la Cantine, le restaurant. Il ouvre le midi et les Vendredis soir, pour la soirée burger qui commence à faire son nom dans les alentours ! La formule entrée-plat-dessert du midi est à 15€. Le prix a évidemment posé des questions sur la stratégie et le positionnement. Il s’agit ici de proposer des produits de qualité, dans une quantité moins « pleine assiette » qu’un routier, découlant un tarif un peu plus élevé. (12€ chez le routier le plus proche)
- MARS 2019
- Première formation CREOPSS, une formation en entreprenariat de l’économie et du développement durable.
- Un pôle Essaimage est mis en place pour accompagner les projets qui le souhaitent, et essaimer les idées que portent leur initiative !
- OCTOBRE 2019
- Les activités occupent 13 personnes à temps plein, payées au même salaire, un SMIC. 3 sont sur le bar, 4 sur l’épicerie, 1 sur la brasserie, 1 sur l’auberge, 1 sur le restaurant, et 3 sur les parties administratives! C’est le plus gros employeur d’Augan!
L’organisation annuelle, les status, la gouvernance
On doit partir de consensus que chacun est intelligent et responsable de ces choix.
Aujourd’hui, la coopérative gère 790 k€ de chiffre d’affaire avec 13 équivalents temps pleins sans échelle de salaires :
Organisés juridiquement en SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif), les associés comprennent 3 types d’acteurs : les employés, les clients, les fournisseurs.
Pour le Champ Commun, ce sont 190 associés qui se répartissent dans des commissions en charge de chaque activité pour accompagner les équipes, doublé d’un comité de soutien à la gestion pour les sujets impactant le collectif.
Un conseil d’administration composé du comité de soutien et d’un représentant par commissions organise ensuite la gestion des sujets globaux et interactivités.
Pour les directives globales de la coopérative, 2 assemblées générales sont organisées par an dont une majeure de 2 jours au printemps.
Ainsi, c’est par la structure que les associés discutent collectivement de l’organisation conjointe de la cuisine et du bar, repensent la charge de travail des salariés de l’épicerie ou prennent du recul sur la taille critique de la coopérative, évitant de glisser dans le jeu de la croissance et de perdre leurs valeurs d’origines.
Henry-Georges insistait sur l’importance des supports de formalisation, pour que tout le monde connaisse les arguments justifiant les choix fait par la coopérative.
L’essaimage ou le « devoir » de diffusion de cette expérience réussie
Le Champ Commun en est un exemple criant, la portée sociale d’une coopérative est plus large que la structure juridique qui l’héberge. La vision défendue et l’énergie dépensée par le collectif cherchent aujourd’hui à faire raisonner le monde de l’entreprise autour de ses enjeux : s’inscrire dans une économie locale, faire vivre l’autogestion en respectant l’équilibre financier de l’activité, répondre aux devoirs administratifs de l’entrepreneuriat, organiser une gouvernance démocratique qui intègre différents types d’acteurs, flirter avec les principes de bien commun…
C’est la mission que s’est donné Henry-Georges Madeleine, cofondateur du Champ Commun et sociologue, le dernier samedi de chaque mois en accueillant les envieux et les curieux à Augan pour présenter l’expérience de cette coopérative, échanger sur les défis qu’elle a dépassé et ceux qu’elle s’apprête à relever.
Fortement sollicité par les membres de coopératives en projet ou en action, le Champ Commun a mis en place une action d’essaimage et notamment des propositions de formations construites avec le CREOPSS. Une formation destinée aux personnes en charge de piloter la création d’une nouvelle activité, organisée autour de 6 modules :
- Gestion et conduite de projet
- Ethique et culture de l’entreprise
- Territoire et développement local
- Gestion commerciale et marketing social et solidaire
- Gestion financière et bien-être au travail
- Gestion juridique et gouvernance participative.
Un apprentissage collectif de nouvelles manières de faire ensemble
Des chapitres dans les livres d’école il y en a « au moins beaucoup », mais combien présentent à un enfant comment construire et vivre dans un collectif ? Combien donnent une comparaison équilibrée entre propriété et usage ? Combien mettent à plat la définition d’un bien commun ?
Maxime nous répondra sourire aux lèvres « au moins deux » et nous vous conseillons de les chercher dans la bibliothèque du compagnonnage du Réseau d’Échange et de Pratiques Alternatives et Solidaires dit R.E.P.A.S.
Une formation qui offre à des personnes désireuses de comprendre et d’expérimenter les enjeux et conditions d’existence de structures (entreprises, associations, etc.) expérimentant différentes formes d’autogestion. Chacun peut rejoindre ce parcours de 4 à 8 mois dès lors qu’il nourrit des questionnements critiques autour du travail et des rapports sociaux qu’il génère.
Pour plus d’informations sur le compagnonnage REPAS
Nos questions, doutes
Si la porte est ouverte, quelle proportion de la population serait intéressée pour avoir une place dans les discussions de leur organisation de travail, dans la dynamique locale ?
À quoi ressembleraient les projets coopératifs d’aujourd’hui s’ils n’étaient pas des expériences locales mais le fruit d’une éducation culturelle généralisée ?
Le Champ Commun est pour le moment la structure qui répond le mieux aux objectifs qu’elle s’est fixée parmi celles que nous avons rencontrées. La vision politique couplée à l’application concrète dans un lieu ouvert, créateur d’emploi et de convivialité, est très inspirante et nous sert, comme à d’autres initiatives soutenues par l’essaimage, de « référence« , de point de repère.
Un grand merci donc à toutes les personnes qui font et habitent ce lieu pour les moments passés à Augan!
C’est vraiment intéressant comme fonctionnement.
Vraiment une belle initiative,
Beau lieu de vie et d’échanges,
Solution pour rompre l’isolement des individus .
Bravo
une façon de fonctionner pour une petite commune bien sympa , mais il faut aussi que ces petits commercants et autres puissent vivre correctement de leur travail. c’est le genre de petits bourgs que nous avons connus quant nous étions enfants.