Accueillis d’un grand sourire par Donia, nous annonçons comme chez un médecin classique notre arrivée, pour le rendez vous pris avec Marine, une médecin de ce centre de santé.
Après un appel auquel Donia répond en arabe, elle nous invite pour patienter confortablement, à se servir un café, ou un thé, service gratuit proposé dans une salle d’attente lumineuse de ce tout nouveau bâtiment. Des affiches sur les prochains ateliers (gratuits) du centre proposent un moment d’échange entre femmes sur « Nos corps de femmes« , sur les douleurs dorso-lombaires « J’en ai plein de dos », un « Atelier Relax » pour se détendre ou encore « Vivre avec son âge« , pour mieux vivre son vieillissement. Ici, pas de Gala ou de Paris-Match, mais plutôt le rapport de la « Place du Village« , où les habitant.e.s proposent et votent des idées pour améliorer leur centre de santé communautaire, ou des livrets d’information militante. On ne s’est donc pas trouvé là par hasard, bienvenue au centre de santé d’Echirolles, le Village 2 santé.
Monter un lieu au plus proche de leurs valeurs
Initialement, 5 étudiant.e.s en médecine, dont certains bifurquent pour étudier la sociologie et se former à l’éducation populaire, rêvent d’un endroit où la santé s’entend dans sa globalité, où les facteurs sociaux sont considérés dans la santé du.de la patient.e que l’on rend actrice de son parcours de soin. Après une réunion par semaine et un weekend par mois de travail collectif (c’est sans compter l’énergie individuelle de chacun) de 2012 à 2016, le centre de santé se constitue. Un diagnostic de santé à l’échelle d’Échirolles est réalisé en 2015 au porte à porte dans le quartier, usant entre autre d’un outil d’éducation populaire : l’enquête conscientisante. Cette enquête démontre le besoin général d’un lieu de santé autour du Village 2. D’abord mis en place dans des locaux provisoires, un projet d’architecture participatif est lancé, et le centre de santé actuel, inauguré en Octobre 2019 voit le jour, en plein milieu du Village 2, un quartier d’Échirolles, dans la banlieue Grenobloise.
Une vision de la santé élargie
Le village 2 santé cherche à permettre un meilleur accès à une bonne santé par la mise en place d’un accueil inconditionnel, de soins primaires médicaux et para-médicaux de qualité, d’activités de promotion de la santé, de soutien à l’accès aux droits, et de lutte contre les inégalités sociales, contre les discriminations, contre le racisme et le sexisme, qui tuent plus que les maladies.
Extrait du site du Village 2 santé
Pour l’équipe du Village 2 santé, ça passe entre autre par reconnaître les facteurs sociaux déterminants sur la santé d’un individu, lutter contre les discriminations du système de santé français, reconnaître les inégalités sociales comme inégalités de santé. Le milieu social d’Échirolles, plutôt prolétaire, ouvrier, est un exemple de lieux où les inégalités d’accès au système de soin sont fortes : langue étrangère, difficultés à trouver des médecins spécialistes, difficultés financières… Les chiffres sur les inégalités à l’accès au soin sont frappants. Dans le quotidien pour les patient.e.s, cela veut dire galérer à avoir des rendez-vous, être plus sujet à des maladies chroniques (à cause d’un travail physique, de condition de vie en habitat mal isolé, d’une alimentation restreinte une fois avoir payé toutes ses charges…) avec moins de moyens pour accompagner sa vie…
Un « travail radical du soin »
Le militantisme affiché et soutenu du Village 2 santé a pu refroidir quelque peu au début l’Agence Régionale de Santé (ARS), maintenant pleine partenaire de cette expérience. En répondant à un besoin identifié sur un territoire, l’aspect militant et le « travail radical du soin » n’est pas un frein à la collaboration avec les instances de santé en place.
Les soignant.e.s définissent leur approche comme un travail radical du soin. Il s’ancre dans une vision sociale du rôle du soin et de son rapport dans la société. Ils essayent de rééquilibrer une relation soignant.e-soigné.e, où chacun a à apprendre, plutôt qu’une relation savant.e-patient.e, où la relation de soin est très descendante. (Je vous conseille un excellent bouquin sur ce sujet : Le corps des femmes, de Martin Winkler).
Une collaboration qui permet des expérimentations
La collaboration avec des acteurs institutionnels tels que l’ARS ou la mairie d’Échirolles, favorable au projet, apporte des moyens d’expérimenter à échelle 1 des systèmes de soins.
Avec le ministère de la santé, une expérience de rémunération par forfait est menée. Cela correspond à l’attribution d’un forfait par patient.e; plutôt que le remboursements des actes seuls. Cela permet une prise en compte de la santé dans sa globalité, au delà d’une vision parfois mécaniste de la médecine : Autonomiser les patient.e.s dans leurs parcours de soin, financer une structure d’accueil complète : Ateliers, salarier des travailleurs sociaux et des soutiens aux démarches administratives de santé, regrouper médecin et kiné… La santé au global, ce qu’il a autour et qui permet de soigner.
Et si on était content d’aller voir un toubib?
On aurait pas idée de faire de la salle d’attente de son médecin un lieu social ! Et pourtant, on peut venir au village 2 santé pour boire un café, parler de ses soucis quotidiens entre soi ou avec Donia, Alexandre, Valérie ou Sambra, qui participent à l’accueil, et apercevoir les médecins qui viennent aussi y boire leur café. De plus, à la demande des habitant.e.s suite à une Place du Village, a été décidé d’installer un salon marocain lors de la réflexion sur l’aménagement de la salle habitante. Et ça marche ! Le lieu devient aussi un lieu de rencontre. Le lien social comme premier médicament?
Une autogestion
Chacun.e des salarié.e.s participe aux réunions d’autogestion pour 3h/semaine, sur l’organisation du centre. 2h par semaine sont consacrées à une réunion interprofessionnelle pour se concerter sur les situations complexes de patient.e.s. (Avec l’accord des dit.e.s patient.e.s) C’est également à tour de rôle que le ménage, l’arrosage des plantes, se répartit. Le système retenu d’égalité salariale « va de pair avec des activités transversales et une place dans l’autogestion réparties de manière horizontale » assure Marine. Entre les deux salarié.e.s de l’acceuil, les travailleurs.euses sociaux, les médecins, les kinés, infirmier.es, le coordinateur, chacun reçoit, pour un temps plein, autour de 1700€ net, proche du salaire médian français. De plus « Chacun.e organise ses 35h par semaine de travail en tenant compte de l’organisation collective permettant la présence de professionnel.e.s de l’ouverture à la fermeture du centre ». Comme écrit dans un précédent article, se préserver semble important pour tenir dans la durée et prendre le temps de vivre.
Quels futurs pour le système de santé français ?
En sortant du lieu, on aurait presque envie de venir s’y faire soigner, accompagner lorsque l’on est malade et de s’investir dans ce lieu qui dépasse la sphère de la santé « stricto sensu ». Et quel décalage lorsque nous sommes allés à l’hôpital pour soutenir Josselin dans sa chute à vélo.
Comme l’indique un sondage mené envers les directeurs d’hôpitaux, le problème est structurel : la pyramide des responsabilités ronge la relation aux patient.e.s par protocole, le manque de moyen récurant et depuis un bon bout de temps fait travailler les équipes en sous-effectif, la financiarisation des actes de santé, avec l’objectif de rentabilité rend difficile voir impossible ce pourquoi le personnel a souvent choisi cette vocation : soigner, soigner l’humain et prendre soin.
Quelle colère m’empare alors lorsque je voyais Clara, ma coloc infirmière, rentrer du boulot 2h en retard, qui ne seront en outre jamais payées, pour finir la liste impossible à réaliser de « pansements fait à la chaîne, mais qu’on ne fait pas autant qu’il faudrait parce qu’on a pas le temps« , pendant que des patient.e.s ne peuvent pas être consulté.e.s en urgence… Quelle colère quand des internes se suicident régulièrement (le taux de suicide du personnel soignant est l’un des plus élevé par profession), que par « manque de moyen », les personnels sont soumis à des choix cornéliens de priorisation de patient.e.s, et qu’on se souhaite un peu plus chaque jour de ne pas « finir à l’hosto ». Quelle colère encore, quand nos ancien.e.s sont soumis.es à « une couche par jour », parqué.es comme fou et folles dans des conditions où les soignant.e.s sont au bout, presque contraint.e.s à la maltraitance pour « tenir la cadence ».
Quelle colère enfin, quand la réponse à ces observations, ces atteintes à la dignité, se suffit souvent face à « rentabilité », « compétitivité », « croissance ».
La réponse du Village 2 santé fait du bien car de par son existence même, elle montre une façon de considérer l’humain, d’affirmer une vision de la vie en dehors de ces logiques, et de considérer de nouvelles façons de travailler.
Pour aller plus loin
Un article de Silence publié par Reporterre.
Le passage de Benjamin, le coordinateur et un des fondateurs, sur Mediapart.